Le Choc Delbo

16 septembre 2016
Marianne,

Joschka Fischer, ancien ministre allemand des Affaires étrangères, a déclaré un jour que le fondement ultime de la communauté de destin européenne était la mémoire d'Auschwitz. Une femme, aujourd'hui injustement oubliée, en a eu la première intuition : c'est Charlotte Delbo. Pourquoi lire, en cette rentrée, le beau livre que lui consacre Ghislaine Dunant (Grasset) ? D'abord parce que cet ouvrage, né d'un saisissement devant la beauté de la langue de Delbo, est un exercice d'admiration, vibrant d'empathie, qui excède largement la biographie traditionnelle; ensuite, et surtout, parce que Ghislaine Dunant y réalise une résurrection profane et offre à Charlotte Delbo le plus beau des cadeaux: un mémorial. Un mémorial pour sa trajectoire de lumière dans une époque de ténèbres; un mémorial pour cette femme, cette autodidacte issue d'une famille immigrée italienne, et qui se montra précocement sensible à l'idéal communiste, avant d'âtre arrêtée avec son mari, Georges Dudach, en 1942. Lui fut fusillé, Elle, envoyée à Auschwitz-Birkenau. A sa libération, en avril 1945, elle devait écrire à son mentor, Louis Jouvet : "Trois années de méditation avec la mort et l'espoir tour à tour m'ont donné le pouvoir d'évoquer et de susciter les êtres dans leur vérité." Logique : l'horreur, sous la plume de Delbo, est présentifiée par la prouesse linguistique et l'emprunt aux méthodes narratives du théâtre classique.
Alexis Lacroix

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