12 octobre 2016
L'Express Styles,
Pour beaucoup, sans doute, Charlotte Delbo n’était qu‘un nom, une silhouette « années 1930 » arborant un élégant fume-cigarettes. Rendons grâce à Ghislaine Dunant (photo) d’avoir ressuscité cette figure tragique et attachante dans un très beau livre. La vie de Charlotte Delbo, secrétaire particulière de Louis Jouvet avant guerre (elle l’aide à « accoucher » de ses mises en scène), bascule un jour de 1942, lorsqu’elle est arrêtée avec son mari. Communistes et résistants, leur sort est scellé : il est fusillé par les Allemands, elle est jetée dans un wagon, direction Auschwitz-Birkenau. Elle y passera plus de deux ans, mais en réchappera. Les quarante années qu’il lui restera à vivre, elle les consacrera à raconter avec une délicatesse inouïe le destin des femmes qui l’ont accompagnée dans cet enfer. Sa « littérature concentrationnaire » a une légèreté miraculeuse. D’Auschwitz, elle écrit dans Aucun de nous ne reviendra que c’était « une gare où ceux qui arrivent ne sont jamais arrivés, ceux qui sont partis ne sont jamais revenus ». Elle décrit la solidarité entre détenues, l’odeur de chair brûlée, le silence glacé, la féminité niée par les camps, les poèmes d’Apollinaire, qu’elle se récitait pour ne pas sombrer. Alors, quand, trois décennies plus tard, le négationniste Faurisson ose mettre en doute l’existence des chambres à gaz, elle le clouera d’un : « Excusez-moi, monsieur, à Birkenau, j’étais privée de tout, même d’un appareil photo. »
Jérôme Dupuis