06 octobre 2016
L'Obs,
Avec Charlotte Delbo (1913-1985), il ne fallait pas chercher à avoir le dernier mot. Lorsqu'elle reçoit de son éditeur Jérôme Lindon les corrections de son livre "Aucun de nous ne reviendra", elle pique une colère et adresse au fondateur des Editions de Minuit une missive en forme de mise en demeure : « Je ne comprends pas pourquoi vous me marquez un tel mépris, ni comment vous l’osez. » On ne touche pas à la douleur des camps, qu’elle avait si bien exprimée dans son livre ! Au demeurant, cette longue, patiente, patiente, précise et indispensable biographie montre que Charlotte Delbo avait, dès l’origine, le caractère bien trempé. Quand le livre commence le 10 juin 1940, Charlotte est au chômage. Louis Jouvet, dont elle est la secrétaire à l’Athénée depuis 1937, a quitté Paris, événements obligent, pour Bordeaux. Désespérée, Charlotte se retrouve comme les autres sur les routes de France. Mais elle décide de rouvrir le théâtre, tandis que son mari, Georges, un militant communiste actif, se retrouve bientôt dans la ligne de mire des Allemands. Quand Jouvet l’invite à participer à la triomphale tournée que lui et sa compagnie doivent effectuer en Amérique du Sud, tous frais payés par Vichy, Charlotte décide de partir, par fidélité à cet artiste qu’elle respecte plus que tout. Mais les représailles allemandes aux coups de main de la Résistance sont terribles. Charlotte décide d’interrompre son voyage et rentre à Paris pour soutenir son mari. Elle sera arrêtée par la police française avec lui le 2 mars 1942. Georges est exécuté. Avec d’autres résistantes, Charlotte est envoyée à Auschwitz. Elle survivra pour témoigner.
Si cette biographie est aussi remarquable, c’est sans doute que Ghislaine Dunant a pour Charlotte Delbo plus que de l’admiration. Une passion qui ne se dément jamais, même lorsque Charlotte, après la guerre, milite pour des causes improbables, et soutient la bande à Baader. A chaque page, Ghislaine Dunant trouve de nouvelles raisons d’aimer Charlotte Delbo, et de célébrer, au-delà de son parcours intellectuel si singulier, son « goût immodéré pour la vie ».
Didier Jacob