01 septembre 2016
L'Histoire,
Assiste-t-on enfin, trente ans après sa mort, à une véritable découverte de Charlotte Delbo, de sa vie, de son oeuvre? En 2013, centenaire de sa naissance, date inscrite aux célébrations nationales, Violaine Gelly et Paul Gradvohl publiaient une première et excellente biographie de l'écrivain chez Fayard. Le grand livre de Ghislaine Dunant, lui, n'est pas à proprement dit une biographie, même s’il en comporte tous les ingrédients. L'auteur est elle-même écrivain, et c'est le destin d'écrivain de Charlotte, la fabrique de son écriture, qui l'intéressent au premier chef.
Une recherche exhaustive dans les archives, a notamment permis à l’auteur de trouver de nombreux manuscrits restés inédits. Car publier ne fut jamais, pour Charlotte Delbo, chose facile. D'un milieu modeste d'ouvriers immigrés italiens, elle ne fait d'études que de secrétariat, mais fréquente une université populaire où elle suit les cours d'Henri Lefebvre, alors jeune philosophe marxiste. Elle y fait la connaissance de Georges Dudach, qui deviendra son mari. C’est dans la revue culturelle qu'il dirige pour le parti communiste, qu’elle écrit ses premiers textes et interviewe Louis Jouvet, qui l'engage comme secrétaire personnelle. Le couple entre en Résistance pendant la guerre et est arrêté par les Brigages spéciales : Dudach est fusillé, Charlotte Delbo, déportée dans le seul convoi de femmes non juives dont la destination, pour des raisons qui restent obscures, est Auschwitz. En 1965, elle publia aux Editions de Minuit, Le Convoi du 24 janvier, un ouvrage pionnier. Auschwitz l'accompagna sa vie durant. Elle n'explique pas, mais parvient à faire sentir la violence radicale qui s'exerça sur elle et ses compagnes, parvient à décrire l'intensité des liens qui l’unissaient à elles. Avec Mesure de nos jours (Minuit, 1971), elle fut aussi la première à raconter ce que fut la vie « après » pour ceux qui avaient survécu aux camps.
Ghislaine Dunant a passé de longues années aux côtés de cette femme d’exception, en empathie avec elle. Elle s'est imprégnée de sa langue et fait, avec ce livre, tout à la fois oeuvre de littérature et d'histoire.
Annette Wieviorka