21 octobre 2007
La Montagne, Grosse déprime et renaissance
" Un effondrement " ne figure à ce jour sur aucune liste des grands prix littéraires: plus qu'un oubli, c'est un scandale. Et pourquoi n'y est-il pas? On n'ose penser que c'est en raison de son sujet, la dépression, sujet réputé sombre et peu réjouissant, donc peu vendeur. Ce qui serait un peu court comme argument. Et injuste.
Car ce livre, qui traite effectivement d'un sujet sombre, est porté tout entier par un grand appétit de vie. En le lisant, on sera toujours partagé entre l'effroi et l'espoir ou le rire, parfois.
Ghislaine Dunant, qui a déjà abordé quelques solides sujets, dont celui de la mort du père dans " Cènes ", écrit avec sobriété. Rien de voyeur, rien de tapageur dans ses propos.
Elle dit en courtes phrases, en scènes brèves, ce qu'est la vie d'une personne qui a lâché prise, s'est " désertée " et se retrouve entre les murs d'une clinique psychiatrique. Seule. Sans personne à qui parler. Ni les proches qui ne comprennent pas, culpabilisent un peu, ni les infirmières parfaitement silencieuses: " C'était ça l'enfermement, ne pas me parler, ne pas me dire quelle piqûre elles me faisaient, quel traitement j' avais, l'enfermement c'était le silence, pas leurs sangles".
On va comprendre très progressivement que Ghislaine Dunant a réellement vécu ce qu'elle met par écrit, mais il y a très longtemps.
Le personnage dont elle parle, cette jeune femme qui tourne en rond dans sa cage, qui ne dit jamais aucun de ses secrets - c'est à peine si l'on voit un jeune homme s'éloigner-, cette jeune femme donc, c'est elle autrefois.
Une autre qu'elle ne renie pas. Qu'elle observe. Qu'elle montre dans sa clôture et sa quête de liberté. Mais qu'elle tient à distance. Distance nécessaire pour passer de la simple confidence à la littérature: son personnage ne porte pas seulement une histoire personnelle, douloureuse, il devient une figure emblématique d'un état dépressif qu'il permet de voir, de percevoir et au- delà: " J'ai vu mes peurs, senti ma vulnérabilité, éprouvé la difficulté d'être un être humain ".
Daniel Martin
La Montagne, 21 octobre 2007